Après avoir observé le déroulement du procès Minova et en attendant la
publication incessante de son rapport détaillé, l’ACAJ rend publique la
déclaration suivante :
1. Rappel des faits
La Cour militaire opérationnelle (CMO) du Nord-Kivu a organisé le procès
de 39 militaires, sous RP 003/013, poursuivis pour crimes de guerre par
viol, par pillage et meurtre, commis dans les localités de Minova, Kalungu,
Nabibwe, Nyamasasa, Kitchanga, Bishange, Mukusha, Haut plateau, Linja,
Makengera et Kinyevire, en novembre 2012 après l’occupation de la ville de Goma
par le mouvement du M23.
Environ 817 victimes de pillage et 196 femmes violées étaient concernées
par ce procès. Sur les 39 militaires, 14 étaient officiers et sous-officiers.
Par son communiqué de presse n° 21/ACAJ/2013, l’ACAJ s’était dite
préoccupée par la tenue de ce procès devant la CMO. Elle avait relevé que cette
Cour est anticonstitutionnelle dans la mesure où ses décisions ne peuvent pas
faire l’objet de recours et ce, en violation de
l’article 21, alinéa 2 de la Constitution qui dispose que « le droit de former un recours contre
un jugement est garanti à tous ». Elle avait exhorté les
Conseils des parties à contester sa constitutionalité d’entrée de jeu.
Elle avait aussi fustigé le fait que 13 de 39 militaires poursuivis,
revêtus de grade d’officiers supérieurs, soient en liberté et que le
Gouvernement n’ait pas ordonné à leur hiérarchie de les suspendre pendant la
période de l’enquête du parquet comme de l’instruction de la Cour.
Que les victimes, leurs proches ainsi que les témoins n’aient bénéficié
d’aucune mesure de protection contre les menaces et l’intimidation ; et
qu’il n’y ait pas eu d’assistance psychosociale pour des victimes de viols.
L’ACAJ avait démontré que ce procès n’offrit pas de garanties
d’équité tant pour les accusés que les victimes. Qu’il leur privait totalement
le droit de faire réexaminer le litige par le juge d’appel ; violait le
droit à la vérité, le droit à la justice et le droit à la
réparation garantis aux victimes des violations graves des droits de
l’homme. Elle avait recommandé :
Au Gouvernement,
de le faire ajourner et prendre des dispositions nécessaires pour le
faire reprendre par une juridiction non seulement indépendante, impartiale,
mais surtout répondant aux prescrits de l’article 21 de la Constitution d’une
part; et de faire suspendre tous les accusés encore en service d’autre
part ;
A la Cour militaire
opérationnelle du Nord-Kivu, de soulever d’office l’exception
d’inconstitutionnalité de l’article 87 de la Loi n° 023/2002 du 18 novembre 2002
portant code judiciaire militaire conformément à l’article 162 de la
Constitution;
A la Communauté
internationale, de faire pression sur le Gouvernement pour qu’il fasse
organiser un procès juste et équitable ;
Aux Avocats des accusés
et victimes, de contester la constitutionnalité, l’indépendance et
l’impartialité de la Cour militaire opérationnelle.
2. Constat:
Si les avocats des victimes avaient contesté, mollement, la
constitutionalité de la Cour militaire opérationnelle, les autres destinataires
des recommandations précitées n’y avaient pas réservé de suite. C’est ainsi
qu’après avoir rejeté l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par les
avocats de victimes – aux motifs qu’elle n’était pas précise quant à son objet
- la Cour militaire opérationnelle a poursuivi le procès jusqu’à sa décision
qui est intervenue le lundi 5 mai 2014.
56 victimes des viols sur 135 cas recensés, et 33 de pillage ont été
entendues lors de 8 audiences organisées à Minova.
3. Décision décevante pour les victimes :
Le lundi 5 mai 2014, treize officiers
poursuivis pour manquement à leurs devoirs ont été acquittés, et la cour s’est
déclarée non saisie de l’accusation portée contre un autre. Trois militaires
ont été condamnés pour viols dont un lieutenant-colonel condamné à perpétuité.
Vingt-deux autres sous-officiers ou soldats ont été acquittés des accusations
de viols, mais condamnés à des peines de dix ans ou vingt ans de prison
pour violation des consignes, pillages et dissipation de munitions. La
Cour s’est aussi déclarée incompétente d’examiner les demandes d’indemnisation
des autres victimes des viols suite aux acquittements.
4. Responsabilités :
L’ACAJ considère que plusieurs acteurs partagent la responsabilité de la
décision de la Cour militaire opérationnelle du Nord-Kivu :
i. Le Gouvernement congolais, pour n’avoir pas
notamment :
- pris des dispositions urgentes afin de faire mener à temps les
enquêtes sur les atrocités commises à Minova et dans ses alentours - le Parquet
militaire les ayant amorcées seulement au mois d’avril 2013, soit 5 mois après
les faits (l’effacement des preuves) et que certaines victimes et témoins aient
quitté la zone pour des raisons d’insécurité[6] ;
- fait suspendre tous les commandants y impliqués, ni demandé à
l’Auditorat général de contester la constitutionalité de la Cour afin de faire
reprendre les poursuites devant une juridiction militaire ordinaire.
ii. Le Parquet militaire, de n’avoir pas :
- mené une enquête impartiale, indépendante, exhaustive et avec
célérité;
- contesté la légalité ou la constitutionalité de la Cour ;
- conduit les poursuites à l’audience avec conviction et rigueur
notamment d’avoir fondé l’accusation sur des suppositions du genre « ils
sont coupables des faits pour avoir manqué à l’appel de leurs
commandants » et sans indiquer d’autres preuves; d’avoir requis des peines
pour des faits non compris dans l’acte d’accusation, et surtout d’avoir requis
la peine de 2 ans avec larges circonstances atténuantes pour des faits
punissables, pourtant, de la peine de 30 ans.
iii. La Cour militaire Opérationnelle, de :
- s’être
abstenue de soulever d’office l’exception de son inconstitutionnalité (article
162 de la constitution) ;
- s’être
déclarée incompétente pour connaître les demandes en indemnisation des victimes
des viols par rapport aux militaires acquittés, alors qu’elle pouvait d’office
y condamner l’Etat congolais pour avoir failli à son obligation de protéger les
personnes et leurs biens.
iv. La défense des victimes, de n’avoir pas présenté ou
soutenu l’exception d’inconstitutionnalité de la Cour avec rigueur en omettant
de déposer le mémoire détaillé et de revenir sur l’exception
d’inconstitutionnalité lors des plaidoiries conformément aux articles 246 et
247 du code judiciaire militaire[7].
Conclusion :
L’ACAJ condamne une fois de plus la tenue du procès, sur les violations
graves des droits de l’homme, par la Cour militaire
opérationnelle, juridiction inconstitutionnelle, dans le but de priver les 135
victimes des viols de leur droit à la justice.
« Le jugement des responsables de graves
violations des droits de l’homme par des tribunaux militaires conduit à leur
impunité, au déni du droit à un recours effectif (qui comprend notamment la
poursuite et la condamnation des responsables) et au déni de réparation pour
les victimes » a conclu Me Georges Kapiamba, Président de l’ACAJ.
« Le Gouvernement congolais devra
faire aboutir, en urgence, le processus de création des chambres spéciales
mixtes qui piétine à ce jour, en tant que juridictions civiles, pour juger les
auteurs des graves violations des droits de l’homme commises en RDC dont
celles de Minova», a-t-il ajouté.
[2] Certains d’entre eux ont été aussi poursuivis pour
actes contraires à la loi, violation de consigne, vol simple, tentative de
pillage, sortie illégale, abandon de poste, absence prolongée, absence
volontaire, extorsion, association des malfaiteurs, tracasserie…L’acte
d’accusation a fait allusion aux articles 8, 2, e, v, vi, i, ii, 25 et 77 du
Statut de la Cour Pénale Internationale.
[3] Aux termes de l’article 87 du code judiciaire
militaire, les arrêts rendus par les Cours Militaires Opérationnelles ne sont
susceptibles d’aucun recours.
[4]Aux termes de l’article 162 de la
Constitution, la Cour constitutionnelle est juge de l’exception
d’inconstitutionnalité soulevée devant ou par une juridiction. Toute personne
peut saisir la Cour constitutionnelle pour inconstitutionnalité de tout acte
législatif ou réglementaire.
[5] Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies
recommande à ce que les personnes occupant des fonctions officielles qui
auraient commis des violations graves des droits de l’homme devraient être
suspendues de leurs fonctions pendant l’enquête sur les allégations, lire les
observations finales concernant la Serbie et Monténégro, CCPR/CO/81/SEMO, 12
août 2004.
[6] Les faits ont été commis entre le 20 et 30
novembre 2012.
[7] Article 246 du code judiciaire militaire :
quelque que soit la manière dont elle est saisie, la juridiction devant
laquelle le prévenu est traduit apprécie sa compétence d’office ou sur
déclinatoire. Si le prévenu ou le Ministère Public entend faire valoir des
exceptions concernant la régularité de la saisine ou des nullités de la
procédure antérieure à la comparution, il doit à peine d’irrecevabilité et
avant les débats sur le fond, déposer un mémoire unique. Article 247 du code
judiciaire militaire : les exceptions et incidents relatifs à la procédure
au cours des débats font l’objet, sauf décision contraire de la juridiction
saisie, d’un seul jugement motivé, rendu avant la clôture des débats.
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