
Les
146 organisations de la société civile congolaise et organisations
internationales de défense des droits humains soussignées saluent les engagements
pris récemment par les autorités de la République démocratique du Congo en vue
de garantir la justice pour les crimes de guerre et les crimes contre
l’humanité. Elles appellent le gouvernement à appuyer l’adoption de
l’avant-projet de loi relatif à la création des Chambres spécialisées mixtes et
la proposition de loi de mise en œuvre du Statut de la Cour pénale
internationale (CPI) au cours de la présente session parlementaire, qui a
débuté le 15 mars 2014.
Les
cycles répétés de violence et l’impunité qui ont marqué les deux dernières
décennies, en particulier dans l’est de la RD Congo, ont provoqué la mort de
quelque cinq millions de personnes victimes de la violence, de la faim et de
l’absence de soins médicaux. Les forces armées nationales de la RD Congo, du
Rwanda et de l’Ouganda, ainsi que de nombreux groupes armés non étatiques, se
sont livrés à des massacres, des exécutions sommaires, des viols, des actes de
torture, au recrutement forcé d’enfants, au pillage et à l’incendie de maisons.
Bien que
quelques progrès aient été accomplis avec la tenue de procès nationaux et
internationaux, la grande majorité des auteurs de ces crimes demeurent
impunis. Les procès qui ont eu lieu devant les tribunaux militaires congolais
se sont heurtés à de multiples défis, notamment sur le plan de la qualité des
enquêtes, de la protection des victimes et des témoins, du respect des droits
des accusés, et de la possibilité d’engager des poursuites à l’encontre des
commandants de haut rang portant la plus lourde responsabilité dans les crimes
commis.
La
création d’un nouveau mécanisme au sein du système judiciaire congolais chargé
spécifiquement de réprimer ces crimes, ainsi que l’adoption de la loi de mise
en œuvre du Statut de la CPI dans la législation congolaise, pourraient
fortement contribuer à rendre finalement justice aux victimes et à leurs
familles, qui se sentent oubliées et abandonnées en dépit d’impensables
souffrances. Ces mesures décisives et concrètes visant à lutter contre
l’impunité constitueraient également un puissant avertissement à l’adresse des
chefs rebelles et des commandants militaires, leur faisant comprendre que les
crimes graves ne resteront pas impunis et il est à espérer qu’elles
contribueraient ainsi à mettre un terme aux exactions endémiques dont la RD
Congo est depuis longtemps le théâtre.
Chambres spécialisées mixtes
En
octobre 2013, à l’occasion d’un discours prononcé devant les deux chambres du
Parlement, le Président Joseph Kabila a souligné l’importance de la lutte
contre l’impunité pour les atrocités commises à l’encontre des civils en RD
Congo. À cette fin, il a exprimé son soutien à la création de chambres
spécialisées au sein du système judiciaire national. Le cabinet de la Ministre
de la Justice et Droits Humains a élaboré un avant-projet de loi, qui est
actuellement examiné par le gouvernement.
Les
Chambres spécialisées mixtes qui sont proposées ne sont pas un tribunal
international. Elles seront plutôt intégrées au sein des cours d’appel dans le
système judiciaire civil. Elles ne seront compétentes que pour traiter des
affaires relatives aux crimes de guerre, crimes contre l’humanité et actes de
génocide et concentreront dès lors leur expertise et leurs ressources sur les
enquêtes et les poursuites visant ces crimes très complexes. La présence, au
cours des premières années, de personnel international jouissant d’une
expérience spécifique dans la répression des crimes internationaux fournira une
formation sur le terrain au personnel national et renforcera l’indépendance des
chambres, les protégeant de possibles ingérences politiques et militaires.
La mise
sur pied de Chambres spécialisées mixtes a été proposée pour la première fois
par des organisations de la société civile congolaise du district de l’Ituri,
dans le nord-est de la RD Congo, lors d’un audit du système judiciaire
congolais organisé par l’Union européenne en 2004. En octobre 2010, le Haut-commissariat
des Nations Unies aux droits de l’homme a publié un rapport circonstancié sur
les violations graves du droit international, des droits humains et du droit
international humanitaire perpétrées entre 1993 et 2003 en RD Congo (le Rapport
Mapping), lequel a repris la recommandation relative à la création de Chambres
spécialisées mixtes au sein du système judiciaire national.
Les
organisations soussignées considèrent très encourageant l’engagement
explicite pris par le Président Kabila et par son gouvernement d’aller enfin de
l’avant en ce qui concerne la mise sur pied des chambres. Nous suivrons de près
le processus et veillerons à ce que la loi prévoie des Chambres spécialisées
mixtes qui seront réellement indépendantes, impartiales et en mesure de tenir
des procès équitables et crédibles. Un certain nombre d’éléments s’avèrent
particulièrement importants : un degré significatif de mixité dans le
personnel (congolais et non-congolais) opérant au sein des chambres ; la
compétence des chambres pour connaître des crimes internationaux graves commis
en RD Congo par des civils, des membres de groupes armés et du personnel militaire,
quelle que soit leur nationalité ; une procédure de désignation du personnel
des chambres qui garantit l’indépendance ; ainsi qu’un examen final des
décisions par une chambre d’appel spécialisée mixte indépendante.
Loi de mise en œuvre du Statut de la CPI
La
proposition de loi de mise en œuvre du Statut de la CPI introduit dans le droit
congolais les définitions de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et
crime de génocide contenues dans le Statut de la CPI, et elle réglemente la
coopération entre les autorités congolaises et la cour.
La
version actuelle du texte prévoit la peine de mort comme seule peine applicable
pour les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Les
organisations signataires s’opposent à la peine de mort en toutes circonstances
car il s’agit d’une peine fondamentalement inhumaine, cruelle et dégradante.
Contrairement
à ce qui est inscrit dans le calendrier des travaux de la session parlementaire
ordinaire de mars 2014, la proposition de loi a déjà été adoptée en décembre
2013 par la Commission politique, administrative et juridique de l’Assemblée
Nationale (Commission PAJ). Il s’agit d’un pas important sur la voie de
l’adoption finale de la proposition de loi.
Les organisations soussignées appellent le gouvernement congolais à :
·Finaliser
et approuver sans délai l’avant-projet de loi relatif à la création de Chambres
spécialisées mixtes indépendantes, impartiales et efficaces, et à le
transmettre au Parlement ;
·Organiser
des consultations publiques avec la société civile, les parlementaires et les
bailleurs de fonds afin d’expliquer l’avant-projet de loi relatif à la création
de Chambres Spécialisées Mixtes et son articulation avec d’autres réformes
judiciaires, et à examiner les amendements susceptibles d’être proposés lors
des consultations ;
·Exprimer
publiquement sa volonté de voir adopter et promulguer la loi de mise en œuvre
du Statut de la CPI dans les meilleurs délais, conformément aux recommandations
des concertations nationales et à l’engagement pris par la Ministre de la
Justice et des Droits humains lors de la réunion de haut niveau sur l’État
de droit organisée par l’ONU à New York en septembre 2012.
Les organisations soussignées appellent les parlementaires
congolais à :
·Veiller
à ce que l’examen du projet de loi relatif à la création de Chambres
spécialisées mixtes soit inscrit à l’ordre du jour de la présente session
parlementaire et à faire la preuve de leur engagement en faveur d’une justice
pour les victimes des atrocités perpétrées en RD Congo en adoptant sans délai
ledit projet ;
·Finaliser
l’adoption de la proposition de loi de mise en œuvre du Statut de la CPI au
cours de la présente session parlementaire.
Kinshasa,
le 1 avril 201
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire